Les pensions
La loi utilise le terme de « contributions d’entretien », mais nous utilisons le terme populaire de « pension ».
Les bases légales de l’obligation d’entretien sont différentes selon qu’on parle d’une séparation (MPUC) (art. 163, 276, 285 CC), d’un divorce (art. 163, 133 CC), d’une dissolution du partenariat (uniquement si l’enfant de l’un a été adopté par l’autre : art. 17 al. 3bis LPart), d’une modification d’un jugement (art. 134 al. 4 CC) ou d’une convention relative à des enfants de parents non mariés (art. 163 et 278 CC), mais les principes sont exactement les mêmes dans tous les cas.
On ne traite ici que de la pension pour enfant mineur. Un dossier spécial est consacré à l’enfant majeur.
Le Tribunal est toujours entièrement libre de décider des modalités et des montants des pensions pour enfants (5A_274/2023, Consid. 4.1.2 et 5.2).
Le Tribunal statue uniquement en fonction de l’intérêt de l’enfant et non selon les vœux de l’un ou de l’autre. Cela étant, il n’y a aucune raison pour que le Tribunal ne ratifie pas (n’accepte pas) une convention qui tient dûment compte de l’intérêt de l’enfant (5A_346/2016).
Quelques grands principes généraux :
1. Égalité de traitement
S’il y a plusieurs enfants, ils doivent être traités de la même manière en ce qui concerne leurs besoins objectifs (ATF 148 III 161 ; 5A_102/2019). Il faut en principe que les montants de la contribution d’entretien de chaque enfant soient les mêmes pour les mêmes tranches d’âge (pas de discrimination ou de favoritisme entre les enfants).
Ce qui n’empêche pas de prendre en considération des éléments spécifiques tels que l’écolage privé de l’un des enfants (5A_593/2014) et de moduler le montant de la pension en fonction de ces éléments (ATF 137 III 59).
Le principe de non-discrimination entre les enfants s’applique aussi en cas de nouvel enfant après divorce (« enfant d’un deuxième lit »). La demi-sœur ou le demi-frère n’a pas à être moins bien entretenu-e que les enfants du « premier lit » et, le cas échéant, cette modification durable et profonde de la situation peut permettre de modifier le jugement de divorce en conséquence pour assurer un équilibre.
a. Priorité sur toutes les autres pensions ou obligations
Conformément à l’art. 276a al. 1 CC, l’obligation envers un enfant mineur prime toutes les autres obligations d’entretien du droit de la famille. Les moyens à disposition doivent donc tout d’abord servir à couvrir les coûts directs de l’enfant, puis les coûts indirects de sa prise en charge. Ensuite, si un disponible subsiste, le Tribunal examine si le conjoint peut également prétendre à une contribution d’entretien (5A_880/2018).
b. Respect du minimum vital
Dans tous les cas, la personne qui doit payer une pension ne peut pas avoir à entamer son minimum vital, soit le montant strictement nécessaire pour pouvoir vivre (les impôts ne sont cependant pas pris en considération dans le calcul du minimum vital).
c. Tableau de l’entretien convenable
Selon l’art. 301a CPC, la convention doit nécessairement comprendre divers éléments financiers permettant au Tribunal de vérifier si le montant de la contribution convenue est conforme aux besoins de l’enfant et aux capacités financières des parents. Il s’agit du « tableau de l’entretien convenable de l’enfant », qui reflète son coût. Si vous faites votre convention sur divorce.ch, tout est clairement expliqué sur la façon de remplir le tableau (un par enfant).
d. Budgets
C’est non seulement sur la base du tableau de l’entretien convenable, mais aussi sur les budgets que le montant de la pension doit pouvoir être calculé et déterminé. Il faut donc produire des budgets. Si vous faites votre documentation sur divorce.ch, les budgets sont prévus.
Avant de passer au calcul et à la détermination du montant dû, nous abordons d’abord :
- La notion d’entretien
- La durée de l’obligation
- Les pensions sous forme de rentes ou de capital
- Les frais extraordinaires
2. La notion d’entretien de l’enfant
La notion légale d’entretien de l’enfant comprend tout ce qui est nécessaire à son développement corporel, intellectuel et moral (art. 302 al. 1 CC ; ATF 122 V 125) : la subsistance, le logement, l’habillement, les soins corporels et sanitaires, l’éducation, la formation professionnelle et les loisirs.
L’ampleur de la notion d’entretien varie évidemment selon les besoins de l’enfant, mais aussi selon les ressources financières et le style de vie des parents (art. 276 al. 1 ; art. 302 al. 1 CC).
Pendant la vie commune, les parents supportent les frais d’entretien conformément au droit du mariage (art. 278 al. 1, 159, 163, 165 CC). Les parents conviennent de la façon dont chacun apporte sa contribution, notamment par des prestations en argent, son travail au foyer, les soins qu’il voue aux enfants, etc. (art. 163 al. 2 CC). Ainsi, durant la vie commune, les parents fixent d’un commun accord leur contribution à l’entretien de l’enfant, ils le feront également s’ils sont séparés de fait. En cas de désaccord, les parents peuvent recourir, ensemble ou séparément, à un office de consultation conjugale ou familiale (art. 171 CC, voir plus), ou un médiateur / une médiatrice, ou encore requérir l’intervention du Tribunal.
Si les parents ne vivent pas ensemble, le parent qui a la garde de l’enfant assume son devoir d’entretien en nature (soins, éducation, etc.), alors que l’autre s’acquitte de son obligation d’entretien essentiellement par une prestation pécuniaire (art. 276 al. 2 CC).
Si la garde est alternée, il n’y a en principe pas de pension à prévoir, puisque chacun assume son devoir d’entretien en nature pendant des périodes équivalentes. Sauf si le différentiel de revenu de l’un et de l’autre est substantiel. Dans ce cas, la personne qui gagne plus doit une contribution pour l’enfant à celle qui gagne moins pour que l’enfant puisse avoir le même train de vie, qu’il soit chez papa ou chez maman (pour caricaturer, ce n’est pas parce que l’enfant passe autant de temps avec papa qu’avec maman qu’il va manger que des pâtes sans sauce chez l’un et du caviar et du homard chez l’autre !).
Si l’enfant ne vit avec aucun de ses parents, les deux pourvoient à leur devoir, essentiellement sous la forme de prestations pécuniaires (art. 276 al. 2 CC).
L’entretien d’un enfant mineur est indépendant des relations personnelles entre le parent débiteur et l’enfant.
Par conséquent, le montant est dû même si l’enfant mineur et le parent débiteur n’ont pas ou peu de relations personnelles. Le parent qui n’a pas de relations personnelles avec l’enfant, quelles qu’en soient les raisons, ne peut pas réduire ou arrêter le payement de la pension au motif qu’il est privé des relations personnelles avec l’enfant mineur. Le cas échéant, il pourrait essayer de faire modifier le jugement précédent (5A_532/2015) mais les chances de succès sont modestes. L’enfant mineur qui refuse tout contact avec l’un de ses parents devrait être averti que la conséquence pourrait être que, devenu majeur, il ne puisse pas bénéficier d’aides financières (pension) de ce parent.
La situation est différente lorsqu’un enfant majeur refuse d’avoir des relations personnelles avec le parent débiteur. Voir le dossier sur l’enfant majeur.
En principe, le montant de la pension est dû par mois et par avance. Il doit donc être payé même lorsque l’enfant passe ses vacances avec le parent qui doit la pension.
Exceptionnellement, lorsque le parent qui a la garde de l’enfant jouit de ressources financières nettement plus élevées que l’autre parent, on peut renoncer à fixer des contributions d’entretien pour l’enfant (5A_874/2014).
Les pensions sont dues à partir du jour déterminé par la convention ou par le jugement (ATF 142 III 193). Par exemple, à partir du jour du dépôt de la demande (5A_801/2022 consid. 3.2.2).
Si l’indication manque, les pensions sont dues à partir du jour où le jugement devient définitif (5A_581/2021).
Si des mesures provisionnelles ont été prononcées pour la durée du procès, la date à partir de laquelle la pension est due ne peut pas être fixée à une date antérieure à la décision prononçant le principe du divorce (5A_801/2022 consid. 3.2.1).
Pour approfondir le sujet, voir l’article publié par Michael Saul : « Critères déterminants pour fixer le dies ad quem de l’obligation d’entretien fondée sur l’art. 125 CC » (2024).
3. Durée de la pension pour enfants
En principe, l’obligation d’entretien des parents cesse à la majorité de l’enfant (art. 277 al. 1 CC), à savoir à 18 ans (art. 14 CC). Toutefois, l’obligation d’entretien se prolonge après la majorité de l’enfant lorsque ce dernier suit une formation professionnelle (art. 277 al. 2 CC).
Si vous faites votre documentation sur divorce.ch, vous avez l’option de décider de continuer à payer une contribution d’entretien au-delà de la majorité de l’enfant, s’il suit des études sérieuses, mais jusqu’à l’âge de 25 ans révolus au maximum. Il s’agit là d’une clause classique.
À noter cependant que le Tribunal fédéral a déjà dit que ce n’est pas l’âge qui compte pour déterminer l’obligation d’assister financièrement un enfant adulte. L’obligation d’entretien de l’enfant adulte existe jusqu’à la fin de ses études sérieuses qui lui permettent d’entrer sur le marché du travail. L’obligation peut donc cesser avant les 25 ans révolus ou perdurer au-delà (5A_274/2023 consid. 5.4).
À noter cependant que les conditions d’une contribution pour enfants sont différentes selon que l’enfant est mineur ou majeur (pas de prise en charge des loisirs ou vacances de l’enfant majeur par exemple, la pension de l’enfant majeur est déterminée par les ressources du père et de la mère, alors qu’elles sont fixées selon les seules ressources du parent qui n’a pas la garde de l’enfant mineur, etc.). Les pensions pour enfants majeurs ne sont plus déductibles fiscalement. Par conséquent, maintenir le même montant de pension après la majorité entraîne une charge plus importante pour le parent payeur, dès que l’enfant devient majeur.
Les pensions peuvent être demandées et obtenues non seulement pour l’avenir, mais aussi pour l’année qui précède la demande (art. 279 CC).
4. Rente ou capital ?
La contribution d’entretien est généralement prévue sous la forme d’une pension payable par mois et d’avance, allocations familiales non comprises. Ces principes ressortent des articles 126 et 285a CC.
Le versement en capital (au lieu d’une rente) n’est envisageable qu’aux conditions strictes de l’art. 126 al. 2 CC soit seulement si « des circonstances particulières l’exigent ».
Tel pourrait être le cas si le débiteur (parent qui doit payer) partira prochainement s’installer à l’étranger ou s’il avait souvent du retard dans le paiement des contributions dues auparavant.
Le risque de prédécès du débiteur ou le risque non concrétisé de ne pas payer les pensions ne sont en général pas considérés comme des « circonstances particulières » permettant de verser un capital au lien d’une rente mensuelle (5A_726/2017).
Les pensions versées en une fois sous forme de capital ne sont pas déductibles fiscalement (ATF 125 II 183), que ce soit au niveau fédéral ou cantonal (sauf LU, BS et BL qui admettent la déductibilité d’un capital au niveau cantonal).
Les pensions versées sous forme de rentes mensuelles sont déductibles fiscalement, mais seulement jusqu’à l’âge de la majorité (18 ans). Le parent qui reçoit la pension est imposable sur le montant, mais à un taux spécial (art. 37 LIFD ; 2C_746/2015).
Les pensions versées à des enfants majeurs ne sont plus déductibles fiscalement dès que l’enfant a atteint ses 18 ans (art. 9 al. 2 let. c LHID). Elles ne sont pas non plus taxées auprès de l’enfant majeur.
5. Frais extraordinaires et temporaires
Une contribution d’entretien spéciale est à verser — en plus de la pension convenue (ou décidée par le Tribunal) — lorsque des besoins extraordinaires, imprévus et temporaires de l’enfant le requièrent.
C’est le principe de l’art. 286 al. 3 CC.
Il doit s’agir de frais qui visent à couvrir des besoins spécifiques, limités dans le temps, qui n’ont pas été pris en considération lors du jugement et qui entraînent une charge financière que la pension fixée dans le jugement ne permet pas de couvrir (5A_760_2016).
Le cas classique est le traitement d’orthodontie à l’adolescence pour corriger l’esthétique de la dentition. On peut aussi penser à des cours scolaires privés complémentaires et nécessaires pour permettre à l’enfant de se remettre à niveau, ou encore à des frais particuliers et temporaires suite à un accident (5C.248/2002).
On peut aussi penser à des frais particuliers pour des séjours linguistiques (5A_952/2019).
Si les besoins nouveaux ne sont pas temporaires et nécessitent de faire modifier le montant de la contribution pour l’enfant de manière durable, il faut alors faire une demande de modification du jugement.
Les frais extraordinaires ne sont en principe pas déductibles fiscalement (5A_810/2012).
Le Tribunal peut contraindre un parent (ou les parents) à verser une contribution spéciale lorsque des besoins extraordinaires imprévus de l’enfant le nécessitent, même s’il n’y a pas eu de jugement précédent fixant des pensions.
6. Familles recomposées, obligations financières du beau-parent
Lorsque le père et la mère n’ont pas les moyens financiers suffisants pour couvrir les frais de l’enfant, le beau-père / la belle-mère a un devoir d’assistance qui l’oblige à participer financièrement aux frais de l’enfant né d’une précédente union, dans la mesure où il/elle dispose de suffisamment de moyens pour couvrir ses propres frais et ceux de ses propres enfants (ATF 115 III 103 consid. 3b ; 5C_218/2005 consid. 3.1).
C’est le principe de l’article 278 al. 2 CC.
Pour approfondir la question des pensions dans le cadre de familles recomposées, voir l’article (payant) de Tanja Coskun-Ivanovic : « Unterhaltsrecht in Fortsetzungsfamilien » (2023).