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Revenu hypothétique

Un revenu hypothétique peut être imputé à un·e conjoint·e, lorsqu’il ou elle n’exploite pas pleinement sa capacité de travail, pour autant qu’un tel revenu soit raisonnablement exigible et effectivement possible, conformément au principe de l’indépendance économique (5A_801/2020 consid. 4.1).

Pour un bon résumé de la problématique et de la jurisprudence, voir l’arrêt 5A_88/2023 consid. 3.3.1.

Pour ce qui concerne l’invalidité ou la maladie qui empêcherait d’obtenir un revenu supérieur, voir les explications données dans Obligation de travailler.

Quand doit-on prendre en compte un revenu hypothétique ?

En principe, chaque époux a l’obligation de faire tout son possible — en particulier d’utiliser pleinement sa capacité économique — afin de générer les meilleurs revenus pour être indépendant financièrement (ATF 147 III 265 consid. 7.3), tout particulièrement lorsque la situation financière est modeste et qu’il s’agit de déterminer la juste pension pur l’enfant mineur (5A_469/2023 consid. 3.1).

Il s’agit d’inciter la personne à réaliser le revenu qu’elle est en mesure de se procurer et qu’on peut raisonnablement exiger d’elle afin de remplir ses obligations (ATF 143 III 233 consid. 3.2 ; ATF 137 III 102 consid. 4.2.2.2).

Le cas échéant, en changeant le type d’activité professionnelle. Par exemple, passer d’une activité indépendante de bijoutière qui ne rapporte guère qu’un revenu mensuel concret de 1’630.- à une activité dans le secrétariat, la vente ou le conseil à la clientèle qui peut rapporter, en moyenne et dans la région considérée, un revenu mensuel de 4’800.- par mois (5A_278/2021). C’est alors ce revenu hypothétique qui sera retenu pour calculer et décider d’une éventuelle pension qui resterait due pour permettre à l’ex-épouse de vivre décemment, compte tenu également des autres éléments tels que la fortune.

Dans ses arrêts, le Tribunal fédéral rappelle régulièrement les principes de base :

  • Un ex-époux ne peut obtenir une pension post divorce que si cet époux n’est pas en mesure de pourvoir lui-même à son entretien convenable (5A_510/2021 consid. 3.2.3 ; ATF 147 III 249 consid. 3.4.4 ; ATF 141 III 465 consid. 3.1)
  • Chaque époux doit tout faire pour exploiter pleinement ses capacités de gain pour pouvoir assumer ses obligations d’entretien (5A_274/2023 ; ATF 147 III 265 ; ATF 144 III 481 consid. 4.7.7).
  • Le principe de l’indépendance financière prime le droit à l’entretien après le divorce (5A_489/2022 consid. 5.2.2). Lors de la fixation de la contribution d’entretien, il convient en principe de se baser sur le revenu effectif des époux. Lorsqu’un emploi considéré comme raisonnable et possible permet à un conjoint de réaliser un revenu plus élevé, il convient de lui imputer un revenu hypothétique (5A_191/2021).
  • Selon les circonstances, on peut ainsi être contraint d’exercer une activité lucrative ou d’augmenter le taux de celle-ci (ATF 137 III 102).
  • Un revenu hypothétique ne peut pas être immédiatement retenu. Un délai raisonnable d’adaptation doit être prévu et fixé (5A_489/2022 consid. 5.3.2).

La personne qui prétend à recevoir une pension post divorce peut se voir imputer un revenu hypothétique, pour autant qu’elle puisse gagner plus que son revenu effectif en faisant preuve de bonne volonté et en accomplissant l’effort que l’on peut raisonnablement exiger d’elle. Les circonstances concrètes de chaque cas sont déterminantes. Les critères dont il faut tenir compte sont notamment l’âge, l’état de santé, les connaissances linguistiques, la formation, l’expérience professionnelle et la situation du marché du travail (5A _777/2023 consid. 3.1 et 3.4.2).

Décider de partir s’installer à l’étranger et d’y percevoir un salaire nettement inférieur au salaire suisse que la personne intéressée percevait en Suisse avant son départ permet de retenir que cette dernière est donc capable de percevoir ledit salaire suisse. C’est sur cette base du salaire suisse que seront calculées les pensions dues, même si, aujourd’hui, la personne débitrice gagne réellement moins car partie vivre à l’étranger (5A_274/2023 consid. 3.3). En bref, vous êtes libre de partir et de vous installer ailleurs, mais pas au détriment de vos obligations financières envers votre famille.

Sauf à agir de manière malveillante (5A_297/2016) ou frivole (en diminuant volontairement son revenu par exemple 5A_ 553/2020), l’obtention d’un revenu hypothétique doit être effectivement possible (ATF 137 III 102).

En clair, si le Tribunal considère que l’un ou l’autre époux doit pouvoir (re)travailler et/ou percevoir un revenu plus important, il fera le calcul de la pension sur la base du revenu hypothétique dudit époux, notamment en se basant sur les calculateurs de salaires du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) (5A_489/2022 consid. 5.2.3 ; 5A_613/2022 consid. 4.1.1 ; 5A_435/2019), sur les données collectées par l’Office fédéral de la statistique (OFS) ou sur d’autres sources (5A_464/2022 consid 3.1), comme les conventions collectives de travail (5A_454/2017ATF 137 III 118) ou sur le calculateur de salaires « Salarium » de l’OFS (5A_593/2017 consid. 3.3).

Le Tribunal fédéral a considéré que l’âge n’est plus déterminant pour décider qu’une personne peut (re)travailler ou augmenter son taux de travail (5A_907/2018 et 5A_104/2018). Auparavant, il présumait qu’au-delà de 50 ans, on ne pouvait plus retravailler ou augmenter son taux de travail. Désormais, il faut examiner chaque cas particulier.

Quelques exemples parmi les nombreuses décisions qui retiennent un revenu hypothétique :

  • Un époux diminue volontairement ses ressources, par exemple en quittant son travail ou en réduisant ses heures (5A_297/20165A_340/2011).
  • Un époux diminue irrémédiablement et volontairement son revenu dans l’intention de nuire et de limiter les contributions financières qu’il doit payer (ATF 143 III 233).
  • Un époux peut raisonnablement percevoir un revenu plus important, selon le marché et ses possibilités concrètes (5A_120/2017), par exemple en augmentant son taux de travail de 80 % à 100 %.
  • En cas de diminution sensible du revenu, il faut démontrer avoir déployé tous les efforts qu’on peut attendre pour retrouver un salaire semblable au précédent. Si la démonstration n’est pas faite, on se basera sur le salaire précédent en tant que salaire hypothétique pour déterminer les pensions à payer (5A_253/2020).
  • Application d’un revenu hypothétique à un enfant majeur (5A _340/2021).
  • Application d’un revenu hypothétique à un invalide (5A_409/2021).
  • Revenus hypothétiques d’une fortune (5A_376/2020), en principe 2 % à 3 % (5A_679/2019).
  • Détermination du revenu hypothétique d’une mère de 47 ans avec un enfant de 16 ans, donc capable de travailler à 100 % et qui ne fait pas les efforts qu’on peut attendre d’elle pour trouver un poste de travail à la hauteur de ses compétences (5A_613/2022).
  • Détermination du revenu d’une avocate indépendante de 40 ans et rappel des principes (5A_316/2022 consid. 7.3).
  • Un ancien peintre recyclé dans une activité indépendante — et déficitaire — de vendeur de kebabs doit reprendre son ancienne activité salariée de manière à pouvoir générer suffisamment de revenus pour payer une pension pour son enfant (5A_745/2022). Il est donc retenu un revenu hypothétique de peintre à son encontre.
  • S’il est allégué que l’état de santé ne permet pas de travailler, le dépôt de n’importe quel certificat médical ne suffit pas. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine ni sa désignation, mais son contenu. Il importe notamment que la description des interférences médicales soit claire et que les conclusions du médecin soient bien motivées (5A_88/2023 ; 5A_584/2022 consid. 3.1.4).
  • Pour un exemple où le revenu hypothétique n’a pas été retenu, voir 5A_510/2021 : une ex-épouse de 49 ans a repris une activité d’assistante dentaire à temps partiel plus quelques heures de femme de ménage. Elle a fait les efforts nécessaires qu’on pouvait attendre d’elle sans exiger un plein temps.
  • Selon les circonstances, on peut retenir un revenu hypothétique d’une personne qui a atteint l’âge de l’AVS et qui continue néanmoins à travailler ; en particulier lorsqu’il s’agit de de financer l’entretien d’un enfant mineur (5A_372/2023 consid. 3.3.2).

L’imputation d’un revenu hypothétique suppose la réalisation de deux conditions cumulatives.

  • D’une part, la personne doit raisonnablement pouvoir exercer, respectivement augmenter, une activité lucrative eu égard à son âge, son état de santé et sa formation. Dans ce cas, le Tribunal doit préciser le type d’occupation visé.
  • D’autre part, il faut que la personne puisse concrètement exercer l’activité ainsi définie et le revenu ainsi dégagé doit être évalué par le Tribunal (5A_329/2019).

En principe, le Tribunal ne retient un revenu hypothétique que pour l’avenir et après avoir laissé un délai raisonnable pour que la personne intéressée puisse réellement augmenter ses revenus. Le délai à fixer tiendra dûment compte des circonstances du cas particulier (5A_801/2022 consid. 4.4.3).

Le seul fait que la personne intéressée soit au chômage ne démontre pas qu’elle est dans l’incapacité de trouver du travail (5A_593/2017). Lorsque sa situation financière est modeste, un parent au bénéfice d’indemnités de chômage peut se voir imputer un revenu basé sur une profession qu’il/elle n’aurait pas eu à accepter selon les règles prévalant en matière d’assurance-chômage (5A_489/2022 consid. 6.2).

En l’absence de possibilité concrète d’augmentation du revenu, il est exclu de retenir un revenu hypothétique. Les critères de détermination sont, en particulier, la qualification professionnelle, l’âge et l’état de santé de l’époux concerné ainsi que la situation sur le marché du travail (ATF 5A_939/2014).

On ne retiendra pas un revenu hypothétique s’il avait été décidé par les époux que l’un d’entre eux entreprenait une reconversion ou une réinsertion (protection de la confiance) 5A_930/2019.

On ne retiendra pas de revenu hypothétique s’il est probable qu’une rente invalidité soit octroyée prochainement (5A_455/2019).

Il reste cependant qu’une invalidité partielle n’empêche en principe pas de pouvoir travailler et de percevoir un revenu. Pour évaluer le taux d’invalidité, le tribunal doit procéder à une comparaison entre le revenu que la personne intéressée peut obtenir après la survenance de l’invalidité, en exerçant une activité que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (revenu d’invalide), avec le salaire qu’elle aurait pu réaliser si elle n’était pas devenu-e invalide (revenu sans invalidité).

La comparaison donne ainsi le taux d’invalidité à retenir pour l’assurance AI et le salaire qui pourrait être raisonnablement obtenu sera le salaire hypothétique. Voir en ce sens 8C_823/2023 et le communiqué de presse du Tribunal fédéral.

Dans tous les cas, le minimum vital de la personne devant payer doit être préservé, de sorte qu’un éventuel déficit puisse être supporté par l’autre (5A_172/20185A_1031/2019 ; 5A_329/2019 ; ATF 135 III 66).

Un conjoint qui a agi de manière irresponsable en donnant son congé et en dilapidant l’intégralité de sa fortune en espèces ne peut pas se prévaloir de la garantie du minimum vital. On peut exiger de lui qu’il se restreigne davantage dans un premier temps et qu’ultérieurement il vende l’immeuble dans lequel il habite, afin de préserver sa famille du besoin et de l’endettement (décision du Tribunal de St-Gall du 5 mai 2008 RF 2007.75 voir p. 61 N°10).

Une prise en compte rétroactive d’un revenu hypothétique peut être admise lorsqu’il ressort des circonstances que le parent concerné aurait pu obtenir davantage de revenu en faisant preuve de bonne volonté et que l’on peut raisonnablement attendre de lui qu’il rattrape avec ses revenus futurs ce qu’il a omis de réaliser par le passé. C’est notamment le cas lorsqu’un parent s’est sciemment contenté d’une activité lucrative insuffisamment rémunératrice après un changement d’emploi – volontaire ou non (5A_975/2022 consid. 4.2.1).

Article mis à jour le 16/10/2024