Les droits de l'enfant
Légitimité des droits de l'enfant
Suivant une tendance bien marquée au niveau international, le droit suisse donne des droits importants à l’enfant qui devient donc un sujet actif alors que, jusqu’à un passé récent, l’enfant n’était qu’un sujet passif, car tout était décidé sans lui.
Le texte de base, internationalement reconnu, est la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par 195 pays dans le monde. Seuls les États-Unis ne l’ont pas encore ratifiée.
Il vaut la peine de consulter dans le détail ce texte fondamental.
Sans surprise, l’enfant a en particulier le droit d’être protégé dans ses intérêts, le droit à des soins médicaux, à l’éducation, à la vie, aux relations familiales, le droit de ne pas être enlevé, le droit d’avoir une vie privée, le droit de ne pas faire l’objet de violences ou de brutalités, le droit d’être entendu avant qu’une décision qui le concerne ne soit prise.
Le site consacre des pages particulières sur le droit de l’enfant d’être entendu préalablement à toute décision qui le concerne, le droit d’exprimer son avis et d’entretenir des relations personnelles ainsi que sur la question du déplacement de l’enfant et de l’interdiction d’enlèvement ou de violences.
Les rapports sur le respect par la Suisse de ses engagements internationaux en la matière soulignent régulièrement que la Suisse a encore des lacunes importantes par rapport aux standards internationaux, notamment
- L’enfant devrait être traité comme sujet de droit et pas seulement comme un être à protéger
- Mieux respecter le droit fondamental de l’enfant à être entendu, lequel doit s’appliquer dans toutes les procédures (notamment dans les procédures pénales ou d’asile) et mieux respecter l’avis de l’enfant. Certains juges sont réticents à entendre les enfants, en raison de croyances obsolètes et, dans la pratique, l’exercice d’entendre l’enfant est souvent éludé par de nombreux juges, pour toutes sortes de raisons, en violation des droits de l’enfant.
- Mieux former les professionnels du droit qui ont à s’occuper des enfants ou de les entendre. Beaucoup sont mal ou peu formés.
- Mieux tenir compte des « intérêts supérieurs de l’enfant » qui ne se confondent pas, contrairement aux déclarations fédérales, avec « le bien de l’enfant ». Les besoins de l’enfant ne peuvent plus se limiter à son « développement corporel, intellectuel et moral », comme le dit le Tribunal fédéral. Ils sont beaucoup plus complexes. L’intérêt supérieur de l’enfant est un concept beaucoup plus vaste que le « bien-être de l’enfant ».
Il ne devrait pas seulement s’agir de prévoir un représentant (curateur) de l’enfant ou de se limiter à l’audition de l’enfant. Il s’agirait aussi d’accompagner l’enfant, notamment par une aide psychologique et/ou des réunions/thérapies familiales.
Le Centre Suisse de Compétence pour les Droits Humains (CSDH) a publié une intéressante étude à ce sujet. Voir le résumé qu’en a fait le Conseil fédéral ici.
Sur ces questions, voir l’article (payant) de Micaela Vaerini (2024) « Bilan 11 ans après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du point de vue du droit international ».
Le 13 septembre 2024, le Conseil fédéral a envoyé aux Chambres un projet de modification du Code civil visant à exclure toute violence dans le cadre de l’éducation des enfants.
Des enfants de 9 et 13 ans ont le droit de rester seuls quelques heures en soirée (5A_495/2023 consid. 3).
L’un des droits fondamentaux de l’enfant est d’avoir la possibilité concrète de faire valoir ses droits en justice (art. 12 §2 de la Convention). Il s’agit de savoir si l’enfant mineur peut agir lui-même, participer seul à la procédure et nommer un avocat, ou s’il ne peut agir que par l’intermédiaire de ses parents ou d’un curateur nommé spécialement à cet effet.
Selon la loi, toute personne majeure et capable de discernement peut agir judiciairement (art. 13 et art. 14 CC), dans la mesure où il n’est pas empêché d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques ou d’autres causes semblables (art. 16 CC).
Par conséquent, l’enfant mineur ne peut en principe pas agir seul, ni participer à la procédure seul, ni nommer un avocat (5A_744/2013, voir cependant le plus nuancé 5A_91/2023 consid. 6.3), sauf s’il s’agit de questions éminemment personnelles, résultant du droit de la personnalité propre de l’enfant (5A_823/2022 consid. 3.3), telles que le respect du droit d’être entendu ou la désignation d’un représentant / curateur (5A_796/2019) et dans la mesure où l’enfant a une bonne capacité de discernement (tel peut être le cas dès l’âge de 10 ans (5A_796/2019 ; 5A_655/2016). Un enfant de 7 ans n’a pas la capacité de discernement suffisante pour agir seul (5C.51/2005).
Quelques exemples :
- Un enfant de 12 ans peut agir seul et désigner un avocat pour le défendre contre une décision qui le force à voir son père, car il s’agirait là d’une décision de contrainte qui viole ses droits personnels propres (ATF 120 Ia 369).
- Un enfant mineur peut recourir contre une décision du Tribunal de refuser de l’entendre, car le droit d’être entendu est un droit fondamental et personnel de l’enfant (art. 298 al. 3 CPC).
- Par contre, l’enfant ne peut pas recourir contre la décision de l’entendre. Seuls les parents, respectivement le curateur, ont cette possibilité (avis de la doctrine, mais aucune décision rendue par le Tribunal fédéral à ce sujet).
- Une enfant de 15 ans peut nommer un avocat pour l’assister pour la désignation d’un curateur qui la représentera (5A_823/2022 consid. 3.3).
- Nous considérons que l’enfant mineur pourrait agir seul et désigner un avocat pour des cas où une excision ou une circoncision étaient envisagées par l’un ou l’autre des parents (ou par les deux parents), car il s’agit là de l’intégrité corporelle de l’enfant, soit un droit fondamental et personnel de l’enfant.
En bref, sous réserve de pouvoir invoquer un droit éminemment personnel et fondamental propre au droit de la personnalité de chaque enfant (par exemple le droit d’être entendu, 5A_64/2022), l’enfant mineur ne peut pas agir seul judiciairement et sera soit représenté par ses parents, soit par un curateur au cas où ses parents divergent d’opinion, ou si l’enfant le demande.
Pour approfondir le sujet, voir l’article (gratuit) de Michelle Cottier : « L’enfant sujet de droit : Bilan de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral suisse » (2017), p. 81 et ss.
Droit de l’enfant de connaître ses origines (parents biologiques)
Le droit de connaître ses origines est complexe et controversé. La question se pose tout particulièrement en cas d’adoption, de procréation médicalement assistée ou d’accouchement sous X.
Les intérêts en jeu sont à l’évidence contradictoires : d’une part un intérêt légitime de l’enfant de pouvoir connaître l’identité de ses géniteurs (la « vérité génétique ») et, d’autre part, la préservation de la paix familiale (la non remise en cause de la filiation). Il faut trouver un équilibre entre ces deux droits légitimes, voire aussi de préserver l’anonymat des donneurs de sperme ou des donneuses d’ovules, ou encore des mères qui accouchent anonymement.
La pesée des intérêts est difficile et se reflète notamment dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) :
- Odièvre c. France 13 février 2003 : protection de l’accouchement anonyme, sous réserve de l’accord exprès de la mère biologique.
- Godelli c. Italie 25 septembre 2012 : accouchement anonyme. Contrairement à la loi française qui laisse ouverte la possibilité de connaître sa mère biologique à condition que celle-ci l’accepte formellement, le droit italien ne prévoit aucune balance des intérêts en présence et est donc contraire aux droits fondamentaux.
- Jäggi c. Suisse 13 octobre 2006 : un citoyen suisse de 67 ans demande d’exhumer son père mort il y a plus de 30 ans pour pouvoir faire établir sa filiation par des tests ADN. Refus des autorités suisses.
La CEDH considère que ce refus des autorités suisses est injustifié et que le droit de connaître ses origines prime dans ce cas particulier. La CEDH consacre ainsi le droit à connaître ses origines génétiques, quel que soit le mode de conception ou d’établissement de la filiation, et précise que l’intérêt à connaître ses origines ne diminue pas, même après de très nombreuses années.
Les décisions de la CEDH se basent sur l’article 8 de la Convention. La Suisse a ratifié la CEDH. Elle a aussi ratifié la Convention relative aux Droits de l’Enfant qui prévoit à son article 7 le droit de connaître ses origines « dans la mesure du possible ».
Plus récemment, la CEDH a souligné que la tendance en Europe était de connaitre ses origines, mais qu’il n’y a pas de consensus clair à ce sujet. Par conséquent, la CEDH a considéré que la législation française garantissant le don de sperme anonyme ne viole pas les droits fondamentaux et que, vu la base légale garantissant clairement l’anonymat du donneur de sperme, l’intéressée n’a pas droit à connaitre ses origines (Arrêt Gauvin-Fournis et Silliau c. France du 7 septembre 2023 (Requêtes no 21424/16 et 45728/17).
La législation suisse reconnait explicitement le droit de connaître ses origines quelle que soit la méthode de procréation utilisée (articles 119 al. 2 let. g Cst, 27 LPMA et 268c CC).
Dans un arrêt rendu avant l’introduction de l’article 268c CC, le Tribunal fédéral a considéré que le droit de connaître ses origines est un droit quasi absolu, tout au moins pour un enfant majeur (ATF 128 I 63 consid. 5.2.2).
Le droit de la filiation est en révision. La tendance est de distinguer selon que l’enfant est majeur ou mineur et qu’il est en tous les cas nécessaire de faire une pesée des intérêts, comme le fait la CEDH. Les rapports d’experts et les prises de position du Conseil fédéral sont très intéressants et sont disponibles ici.
Pour la problématique de la reconnaissance en Suisse d’une gestation pour autrui (GPA) pratiquée à l’étranger, voir l’article de Véronique Boillet et Estelle de Luze « Les effets de la GPA à caractère international en Suisse », ainsi que l’arrêt de la CEDH du 22 novembre 2022 (la reconnaissance d’une GPA pratiquée à l’étranger doit être accordée dans l’intérêt de l’enfant qui ne peut pas être « sans parent »).
Pour approfondir le sujet, voir l’article (payant) de Michelle Cottier et Marie Fonjallaz : « Le droit à la connaissance des origines » ou celui de Olivier Guillot et Rachel Christinat : « Enfants nés de mères porteuses », p. 125 et ss.
Le droit à connaître ses origines est un droit de la personnalité et un droit à l’information. Il n’entraîne aucune modification juridique sur la filiation.
Le parent juridique n’est certes pas le parent biologique, mais il/elle reste le parent en charge, avec toutes ses conséquences (ATF 134 III 241 consid. 5.3.2 ; pension, autorité parentale, droit de visite, droit aux relations personnelles, etc.) et il n’y a aucune relation juridique entre le parent biologique et l’enfant (par exemple, aucun droit de l’enfant dans la succession de son parent biologique).
Ce n’est que par une action en désaveu (art. 256 CC), en recherche de paternité ou en contestation de paternité que le père peut être déclaré comme n’étant pas — juridiquement — le père de l’enfant.
Le père a un délai péremptoire d’une année pour déposer sa demande de désaveu (art. 256c al. 1 CC) ; sauf à justifier le retard par de « justes motifs » (art. 256c al. 3 CC). Le délai part du moment où le père pouvait légitimement se douter qu’il n’est pas le père biologique.
Si le délai n’est pas respecté et s’il n’y a pas de « justes motifs », le père reste le père juridique, même s’il n’est pas le père biologique.
Selon l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », le fait de ne pas savoir qu’il y a un délai d’un an pour agir ne peut pas être un « juste motif » pour le faire prolonger (5A_178/2022 consid. 3.3.1), mais certaines circonstances particulières permettent de retenir de « justes motifs », en particulier lorsqu’il n’y a jamais eu de liens affectifs entre l’enfant et son père juridique (même arrêt consid. 4.3.4).
Voir l’arrêt 5A_258/2023 pour une solution inverse : le père avait entretenu des rapports réguliers et fréquents avec l’enfant. Suite à un test sérologique, il découvre qu’il ne pouvait très probablement pas être le père biologique, mais il ne fait pas faire de tests ADN et attend plus d’une année pour intenter son action en désaveu. La Cour cantonale considère qu’il est déchu de son droit, car il n’a pas agi dans le délai d’une année et aucun « juste motif » ne peut être retenu. Le Tribunal fédéral confirme. Il reste donc le père juridique et doit continuer à payer la pension de 250.- par mois pour l’enfant.
Enregistrement à l’État civil suisse d’une GPA faite à l’étranger
La mère porteuse est inscrite en tant que mère de l’enfant dans le registre de l’État civil, lorsque les parents d’intention ont eu recours à une GPA à l’étranger et que le droit suisse de la filiation s’applique. Le père d’intention ayant eu recours à un don de sperme peut établir le lien de filiation par reconnaissance ; tandis que la mère d’intention devra procéder par une adoption (ATF 148 III 384, voir aussi ATF 149 III 370).
Représentation légale de l'enfant (curateur / curatrice)
La désignation d’un curateur permet de représenter l’enfant dans une procédure qui le concerne ou de surveiller les relations entre parents et enfants.
Le Tribunal peut spontanément nommer un représentant de l’enfant pour l’assister dans la procédure de divorce. C’est le principe des articles 308 al. 2 CC, 314a bis CC et 299 CPC. Chaque parent, voire l’enfant lui-même (5A_619/2007), peut aussi faire la demande de nomination d’un curateur / d’une curatrice. Ils peuvent aussi recourir contre le refus du Tribunal de nommer un curateur / une curatrice (5A_357/2011).
En règle générale, un curateur pour l’enfant est nommé par le Tribunal dans les cas de divorces « bagarre » où les parents se battent pour la garde de l’enfant (des enfants) ou sur d’autres sujets qui touchent particulièrement l’enfant (5A_30/2024).
Ce représentant (curateur / curatrice) est en quelque sorte le porte-parole de l’enfant dans une procédure. Sa mission est de faire entendre le point de vue de l’enfant (des enfants), de tout faire pour qu’il(s) ne souffre(nt) pas (ou le moins possible) du conflit entre les parents et de défendre les intérêts propres de l’enfant.
Le Tribunal est toujours entièrement libre de suivre ou de ne pas suivre les arguments du curateur / de la curatrice (art. 296 al. 3 CPC). En principe, lorsqu’un curateur a été nommé, l’enfant capable de discernement (dès 10–12 ans) peut aussi nommer de son côté un avocat pour le représenter et l’assister, car les missions du curateur et de l’avocat ne se recoupent pas entièrement (5A_91/2023 consid. 7.3).
Dans les cas de déplacement illicite de l’enfant et de demande de retour dans le pays d’origine, un curateur doit nécessairement être nommé pour représenter l’enfant (5A_91/2023 consid. 7.3).
Dans sa décision, le Tribunal peut mettre à la charge de l’une et/ou de l’autre partie l’obligation de rembourser les frais de représentation de l’enfant, lesquels sont des frais judiciaires (art. 95 al. 2 let. e CPC) et doivent donc être payés par la caisse du Tribunal (5A_407/2023 consid. 8.3.2).
Conditions de nomination d'un curateur
Un curateur est nommé si l’enfant n’a pas encore la capacité de discernement (trop jeune pour pouvoir se faire une opinion indépendante) ou si des circonstances particulières l’exigent.
Un curateur / une curatrice sera généralement nommé-e lorsque les parents ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’autorité parentale, le droit de garde ou l’aménagement du droit de visite (art. 306 al. 2 ; 314a bis CC). Le curateur / la curatrice peut-être un avocat, un travailleur social, un pédopsychiatre, voire un juriste.
Le Tribunal peut également nommer un curateur lorsqu’il doute que l’accord proposé par les parents soit bien dans l’intérêt supérieur de l’enfant, en particulier sur l’autorité parentale, la garde ou le droit de visite. L’enfant peut demander lui-même, s’il est capable de discernement, que le juge lui nomme un curateur pour le représenter dans la procédure de divorce (5A_619/2007).
Le curateur a les mêmes droits que les parents dans la procédure, il peut par exemple interjeter des recours contre des décisions relatives à l’attribution de l’autorité parentale et des décisions relatives à des questions essentielles concernant les relations personnelles de l’enfant avec ses parents (droit de garde et droit de visite).
Un curateur peut aussi être nommé, après jugement, si le bien de l’enfant l’exige, car le conflit entre parent perdure et met en danger la santé ou le bien de l’enfant :
- Tel n’est pas le cas de parents qui se chamaillent (difficulté d’obtenir des visas pour des enfants dans le cadre d’un droit de visite conflictuel) sans que la santé ou le bien des enfants ne soient concrètement mis en péril (5A_7/2016).
- Tel n’est pas le cas de parents qui n’arrivent pas à communiquer entre eux (sans pour autant que cela entraîne un danger pour l’équilibre ou le bien-être de l’enfant (5A_819/2016)).
Le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si le droit fédéral règle la question de la rétribution financière du curateur. Il est plutôt d’avis que ce sont les dispositions cantonales qui doivent déterminer ce point (5C.226/2004). En tous les cas, la législation cantonale ne peut pas prévoir un plafond pour la rémunération d’un curateur (5C_2/2017).
Révocation / changement de curateur
À certaines conditions, le curateur / la curatrice peut être changé-e / révoqué-e si de « justes motifs » sont retenus, en application de l’art. 423 al. 1 ch. 2 CC, en particulier lorsque le rapport de confiance avec l’enfant ou les parents n’est pas ou plus établi (5A_863/2022).